dimanche 16 juin 2013

Un cayennais entre l'Orient et l'Occident - 1ère partie

Ou quand un "illustre inconnu" fait son apparition au coeur de l'actualité...


Résumé : 
Ismaÿl Urbain est un métis né à Cayenne en 1812, très jeune il s'engage aux côtés des Saint Simoniens et se passionne pour l'Orient. D'abord en Egypte où il se convertit à l'Islam pour se rapprocher des arabes, puis en Algérie où il s'installe et sert pendant de nombreuses années comme interprète.
Très proche des "indigènes" il les défend âprement, face au colonialisme, et ses idées modernes, si elles lui attirent la haine des colons, reçoivent en revanche une attention bienveillante de la part du Duc d'Aumale, du roi Louis Philippe, puis la confiance de Napoléon III. Et c'est sur les conseils et réflexions du guyanais devenu conseiller personnel, que l'Empereur développera la doctrine politique du "Royaume arabe", qui pendant un temps rapprochera l'Orient et l'Occident ... Ismaÿl Urbain meurt à Alger à l'âge de 72 ans.

Dans ce premier article, nous évoquerons la jeunesse d'Ismaÿl Urbain, et sa rencontre avec le Saint Simonisme et l'Orient...


C'est à un visiteur de la ville de Cayenne, que je dois la découverte d'Ismaÿl Urbain, ce personnage étonnant, je l'en remercie vivement. 
Depuis, la lecture de ses écrits, la découverte de son itinéraire singulier de vie et de pensée, et l'influence qu'il exerça dans le monde des idées, m'invitent a vous faire partager l'histoire hors du commun de cet enfant de la Guyane...


Ismayl Urbain en 1868 
Ismaÿl Urbain
né à Cayenne le 31 décembre 1812,
mort à Alger le 28 janvier 1884

Depuis l'Antiquité, l'actualité géopolitique  nous ramène quotidiennement au coeur des tensions entre l'Orient et l'Occident, attractions, influences ou conquêtes, des hommes se sont tout au long de l'Histoire engagés entre l'Orient et l'Occident... 
Parmi les Hommes d'Occident engagés dans l'Aventure vers le Levant, d'Alexandre le Grand à Lawrence d'Arabie, de Goethe à Louis Massignon, de Nerval à Bruce Chatwin, nombre de conquérants, d'aventuriers, de nomades, de poètes, de savants ou d'écrivains partirent découvrir l'Orient géographique ou l'Orient intérieur tous deux  indissociables et fascinants.

Peu d'entre eux réussirent à tenir l'équilibre entre les deux mondes, réalisant l'impossible harmonie de pensée et d'action...Il en est pourtant un,  Ismaÿl Urbain,  qui voyagea sa vie durant, tant dans les territoires géographiques que dans le monde des idées. Cet homme exceptionnel allait marquer son temps et influencer les pensées les plus hautes, alors en exercice sur ce terrain de rencontre mythique, entre l'Orient et l'Occident.

Rien ne prédestinait pourtant cet enfant métis, à un destin aussi singulier, lorsqu'il naquit sur l'autre face de la Terre, le dernier jour de l'année 1812, à Cayenne...



SOMMAIRE de la 1ère partie :  1/ L'enfant guyanais, 2/ Le Saint Simonien, 3/ L'Orientaliste...
                                                                                  

1 / Ismaÿl Urbain, l'ENFANT GUYANAIS...


Ismayl Urbain est né le 31 décembre 1812, sous le nom de Thomas APPOLINE, et déclaré à Cayenne sur l'acte d'Etat civil du 2 mars 1813. Il est le fils illégitime d'un commerçant originaire de La Ciotat, Urbain Brue, installé à Cayenne, et de la fille d'une mulâtresse affranchie, Marie Gabrielle Appoline, noire libre de Cayenne.

Déjà marié à La Ciotat, Urbain Brue cachera sa paternité à l'administration et ne reconnut pas son fils Thomas, tout en lui assurant toutefois son éducation. L'enfant, tour à tour était  appelé par son prénom ou celui de son père, et c'est ce dernier patronyme usuel s'imposa rapidement à l'administration mais pour un temps seulement...

1820-1830 : De Cayenne à Marseille en passant par l'injustice...

A cette époque, la Guyane est gouvernée par Joao Severiano Maciel da Costa, pour le roi du Portugal et restera portugaise jusqu'à sa restitution à la France en 1817. Lorsque le jeune Thomas Urbain à 8 ans, "Cayenne que l'on a considéré de tout temps comme la capitale de la Guyane Française est aussi la seule ville dans cette vaste colonie (...) Elle ne renferme que des maisons en bois mal construites, à peine défendues par de mauvais remparts dominés par un fort en terre, la vieille ville (...) est dans un coin enfermée par des remparts qui ne sont bons à rien (...) dans un pays brûlant et marécageux." ("La Guyane, histoire mœurs et usages" , par Ferdinand Denis, 1823)


Rade de Cayenne, au 19° siècle - Gravure de Le Breton
A Huit ans, le jeune métis à l'identité secrète et stigmatisée, accompagne Urbain Brue à Marseille où il reçoit une éducation et fait des études. Observateur attentif des évolutions sociétales en cours, le jeune Urbain se rapproche alors du cercle des républicains, et participe aux réflexions politiques...

Pendant ce temps, la levée le blocus maritime ayant relancé les exportations et l'économieCayenne se modernisenotamment sous l'impulsion du baron Pierre Clément de Laussat, gouverneur entre 1819 net 1823. Libérée du carcan étouffant de ses vielles murailles Vauban, la ville s'épanouit, "la  nouvelle ville s'élève dans une grande savane, et s’accroît de jour en jour. Les rues tirées au cordeau sont larges, permettant à l'air de circuler librement, et laissent voir quelques maisons d'une assez belle apparence..." ("La Guyane, histoire mœurs et usages", par Ferdinand Denis, 1823)

Les affaires reprenant à Cayenne, Thomas Urbain qui a 18 ans et vient de finir sa rhétorique au lycée de Marseille, retourne à Cayenne en 1830, sur les conseils de son père qui espère le voir s'engager dans les affaires. Mais le manque de moyens nécessaires à l'investissement, et peut-être  aussi,  l'éloignement des études et des débats d'idées, lui font renoncer à une installation dans sa terre natale; et il reprend la mer vers la cité phocéenne en juillet 1831.   

2 / Ismaÿl Urbain, LE SAINT SIMONIEN...


1831-1833 : De Marseille à Ménilmontant en passant par le Saint Simonisme ...  

Au large de Marseille l'hôpital Caroline du lazaret d'Arenc  
Lorsque Thomas Urbain arrive au large de Marseille, la ville est protégée par un cordon sanitaire, institué après la tragique épidémie de fièvre jaune de Barcelone (1821) et le code maritime impose une mise en quarantaine des navires en provenance de l'Amérique.

C'est là sur les îles du Frioul que Urbain rencontre un Saint Simonien qui l'initie à sa foi et à ses doctrines, et durant l'attente sanitaire, il se plonge avec avidité dans la lecture des ouvrages prêtés par son ami, tel que "Sur la querelles des Abeilles et des Frelons", de Saint Simon, et dont la critique de  de l'Ancien Régime  reste toujours actuelle...

Cette quarantaine sanitaire sera pour le jeune homme de 19 ans, une expérience et une révélation décisives qui vont conditionner et orienter toute sa vie future.

Cette fraternité de pensée, fondée par Claude Henry de Rouvroy, comte de Saint Simon (1796-1864) lorsque, hostile aux privilèges de sa propre classe, il élabore une nouvelle philosophie fondée sur l'idée que tous les hommes sont appelés à travailler et produire "à chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres". Autour de lui une école de pensée développe un "catéchisme industriel": doctrine économique, sociale, religieuse ou politique toujours vivantes et fondées sur l'esprit d'entreprise, l'intérêt général et le bien commun; la liberté, l'égalité et la paix. 
Cette école de pensée progressiste appelle à une réforme profonde, et proposa même une nouvelle mystique opposée à la morale chrétienne traditionnelle, mais ancrée dans le principe d'une fraternité entre les hommes, fondation d'e la société nouvelle..
Après la mort de Saint Simon, ses disciples poursuivent le travail, s'organisent et se radicalisent  en 1827, en famille religieuse,  autour du "Père Enfantin" et de ses apôtres dans la retraite de Ménilmontant. 

Ainsi, de nombreux "fils" de Saint Simon vont s'illustrer tout au long du siècle : dans le journalisme (Guéroult, Charton, Jourdan...), la banque (Pereire, Eichthal...), la politique (Carnot, Chevalier...) Les chemins de fer (Fournel, Talabot, Enfantin...), le projet du canal de Suez (Fournel, Arlès Dufour, Enfantin...) etc...
Très influent le Saint Simonisme est aujourd'hui considéré comme un acteur essentiel dans l'élaboration de la nouvelle société industrielle française du XIX° siècle....

Lithographie colorée, "les moines de Ménilmontant" - Bibliothèque de l'arsenal

Le jeune Urbain décide alors de rentrer dans le cercle très fermé des Saint Simoniens, et il est admis le 15 juillet 1832 dans leur maison de Ménilmontant, où ils vivent en communauté autour de Barthélémy Prosper Enfantin, qui reprend le flambeau de Saint Simon mort en 1825.

Tenu à l'écart par le secret de sa filiation, il semblerait qu'il trouve à cette époque, dans ce mouvement de pensée du Saint Simonisme, une vraie famille de coeur et d'idées . 

Là, au sein de ce groupe singulier Thomas Urbain se lie d'amitié avec l'ethnologue et philosophe Gustave d' Eichthal (1804-1886) banquier juif, converti au catholicisme puis au Saint Simonisme, Les deux hommes "le juif et le nègre, les deux proscrits" pour reprendre une formule d'Eichthal (Lettre de d’Eichthal à Enfantin, 8 novembre 1832) associeront leurs destinées et publieront même ensemble en 1839 les "Lettres sur la race noire et la race blanche".

Thomas Urbain, qui trouve un sens à sa vie auprès de cette communauté d'esprit et d'action, lui restera fidèle jusqu'à sa mort : « S’il est un saint-simonien dont la foi n’a jamais failli, c’est bien Ismaÿl Urbain, pour qui l’utopie développée par Enfantin a eu un sens évident, révélateur, vital. » ("Le Siècle des saint-simoniens", par Anne Levallois Bibliothèque nationale de France, 2006, p. 114.)


1833-1835 : De Ménilmontant à Damiette, en passant par l'Amour...

L'expédition d'Egypte - Cogniet 1827-1835 - Louvre
Au lendemain de la Révolution française, gonflée par une nouvelle vision globale d'une humanité en marche vers son accomplissement, la modernité se lance vers la conciliation  utopique entre l'Orient et l'Occident... L'expédition d'Egypte de Bonaparte (1798-1801) en est une illustration exemplaire qui initie un orientalisme qui deviendra quelques années plus tard une composante majeure des modernes du XIX°siècle, et qui s'exprimera sous différentes formes. poètes  scientifiques, philosophes, artistes,  écrivains voyageurs... tous aspirent a un "Voyage en Orient". 
Parallèlement aux utopistes et romantiques, c'est aussi le début de l'expansion coloniale avec notamment la conquête de l'Algérie en 1830, autre expression directe et violente d'un expansionnisme moderne...

Les Saint Simoniens qui se présentent comme  des "hommes nouveaux" accoucheurs de la "société d'avenir" développent aussi un orientalisme, notamment à travers la doctrine de Michel Chevalier qui prône un "Système de la Méditerranée" associant les deux "massifs de peuples".En 1832, considérés subversifs, les Saint simoniens sont victimes de persécutions, et les interdictions succèdent aux procès,  ils se dispersent... Ménilmontant devient une retraite. 

Au mois d'avril 1833 sous l'impulsion du prédicateur du "Père Enfantin", Emile Barrault, se forme à Ménilmontant, le "Groupe des Douze", recruté parmi "les compagnons de la Femme", 
Ce groupe se lance dans une croisade pacifique voulant réconcilier l'Orient et l'Occident, la Matière et l'Esprit dans un Voyage vers l'Orient dont l'objectif est le lancement du projet de percement de l'isthme de Suez. 

Ismayl Urbain - Bibliothèque de l'arsenal
Répondant à la demande d'Emile Barrault, Thomas Urbain, à peine âgé de 20 ans, s'engage dans cette aventure...

Avec ses compagnons il rallie dans un premier temps Istanbul, la mythique Constantinople, porte de l'Orient... 
"Je connais peu de spectacles plus faits pour réveiller dans l'âme l'admiration que la vue de Constantinople (...) la foi m'y faisait voir la Mère s'élevant radieuse du milieu de ces palais, planant sur Sainte Sophie, chrétienne puis musulmane..." ("Voyage d'Orient" d'Ismayl Urbain, éd. posthume 1993)
Puis leur quête de la "Femme-Messie" incarnation de l'union entre l'Orient et l'Occident prophétisée par Enfantin les conduit en Egypte, objectif final de leur entreprise.

L'entreprise pour les Douze s'avère plus difficile que prévue, d'autant que Méhémet Ali (1769-1849) vice roi d'Egypte ne se montre pas d'emblée intéressé par le projet du canal de Suez, privant les Saint Simoniens de la victoire industrielle annoncée et qui devait  être la pierre d'angle symbolique et économique de leur "Système de la Méditerranée". La déception et la fatigue dispersent les compagnons dont beaucoup rentrent en France...

Mais le Guyanais, quant à lui, se plaît dans cette Egypte "qui, (dit-il), me rappelle les beaux jours passés en Guyane" (ibid), et c'est donc sans difficulté qu'il choisit reste aux côtés de Prosper Enfantin qui ne désespère pas de convaincre le pacha Méhémet Ali, réformateur moderne, d'adopter le grand projet industriel du canal de Suez (les Saint Simoniens créeront  une société d'étude en 1846 et le canal sera finalement  percé entre 1859 et 1869).
Recommandé par Enfantin, Thomas Urbain sera envoyé comme professeur de français à l'école militaire d'infanterie de Damiette.

Thomas Urbain se plonge avec passion dans la découverte de l'Egypte, il s'y était préparé lisant avant son arrivée les "Voyages en Syrie et en Egypte" de Volney (1796) ou les "Lettres sur l'Egypte" de Savary (1783).
Mais c'est surtout son identité guyanaise et métisse qui va l'aider à comprendre la culture et l'âme des égyptiens et à intégrer cette société qui l'accueille.
"
Je veux prendre sur moi et avec moi les bâtards, les esclaves, les noirs, puis les musulmans, les renégats " (ibid)

Égyptienne - Léopold Carl Muller 1886
Arrivé au Caire en février 1834, il réalise des parallèles sociétaux entre la Guyane et l'Egypte, notamment chez les Dussap avec qui il se lie d'amitié, car c'est un couple mixte issu de l'union d'une femme noire d'Abyssinie, née esclave et d'un médecin français installé depuis l'expédition d'Egypte. 

L'univers créole est présent autour de lui et la vie s'installe avec ses passions tragiques... 
Le jeune Thomas se rapproche d'abord d'Halimeh, la mère, qui est emportée par la peste en juillet 1834, puis de sa fille Hanem, métisse comme lui, sur laquelle il reporte, en vain son amour passionnel, "attendant dans son bel œil noir, si calme, le premier signe de son émotion, afin d'oser l'entretenir de ma tendresse" (Revue de Paris juillet 1852)
Dans ce désir amoureux, Thomas Urbain, cherche "tout un avenir dans la mission de conciliation et d'alliance, qu'il voulait, comme Saint simonien, remplir vis à vis des races, des nations et des religions diverses." (ibid)
Mais en avril 1835, l'épidémie de peste sévit encore en Egypte et Hanem rejoint  la cohorte macabre des pestiférés et "s'en alla dans toute sa beauté, le sourire aux lèvres remerciant par un regard de bonté ceux qui entouraient son lit (...) en s'envolant vers une vie meilleure, elle entraîna mes espérances, le rêve de mon ambition et les souhaits les plus fervents de ma foi.." (ibid)

A Senaniah, où il vit, Thomas Urbain est accablé par la douleur, il ne peut se rapprocher du Saint Simonien Enfantin parti vers la Haute Egypte, et le guyanais qu'il est l'appelle dans son coeur à chercher le réconfort dans le secret des frondaisons épaisses lui rappelant sa Guyane maternelle :"J'allais m'asseoir au plus épais des vastes palmeraies. Là, sans regret, sans espoir, sans pensée, je contemplais les reflets mouvants des rayons du soleil dans les feuillages découpés des palmiers; jrespirais un air tiède et parfumé; je vivais encore; les forces du corps renaissaient sous l'influence fortifiante de cette nature vigoureuse; mais l'âme était absente (...) Le vase avait débordé." (ibid)


3 / Ismaÿl Urbain, L'ORIENTALISTE...



1836-1841 : De Damiette à Paris, en passant par l'Islam..

Malgré son anéantissement moral, le jeune Thomas Urbain, qui n'a que 23 ans, reste irrésistiblement attiré par cet Orient...
"Je suis un feu au milieu de la population ardente qui m’entoure, je brûle, je veux vivre comme elle, parler comme elle; je ne veux plus m’isoler des hommes. Je ne peux les faire moi,  je me ferai eux " (correspondance à Emile Barrault 1835)

Prière du matin - Ludwig Deutsch 1906
Le 5 mai 1835, l'idée d'une conversion à l'islam lui apparaît brutalement à la vue d'une cérémonie de mariage, et scelle le cheminement réalisé depuis plusieurs années vers la foi musulmane, d'autant que, dans son coeur il voit dans cette conversion la possibilité de s'unir par l'esprit à son aimée disparue : "...ma résolution fut dès cet instant arrêtée, je me sentais appelé par elle; j'allais vivre cette vie arabe qu'elle préférait, (...) Ne pouvant arriver, comme elle, vers les musulmans par l'origine et les habitudes de la famille, j'allais me rapprocher d'eux par la religion et les pratiques du culte (...) J'avais donc retrouvé le but de ma vie. Je renouais la chaîne ininterrompue de mes idées. Le mariage que j'avais rêvé comme mon salut, allais recevoir une réalisation mystique, mais féconde en actions." (Revue de Paris juillet 1852)

La conversion à l'Islam, pour Thomas Urbain, n'est pas une rupture avec le Christianisme et encore moins avec le Saint Simonisme, bien au contraire : c'est un dépassement, palingénésique, si chère à la doctrine des "moines de Ménilmontant".

La conversion eut lieu le 8 mai 1835, par l'Iman, aumônier de l'école militaire de Damiette. L'union tant espérée de Orient et de l'Occident est donc déjà amorcé sur le plan individuel.... 

"Ismaÿl" Urbain est né...

Dès lors, cet homme de Guyane, né à Cayenne entre noir et blanc, s'engagera entre chrétien et musulman, comme médiateur entre Orient et Occident, "afin de donner aux pensées et aux sentiments un horizon plus vaste !." (Ibid)

Pendant ce temps là, les Saints Simoniens, déçus de ne pas voir leurs projets adopter en Egypte, tournent désormais leurs regards vers l'Algérie.

Ismaÿl Urbain, malgré sa conversion désespère de l'inertie des projets qui l'ont amené en Egypte et de sa solitude affective. Il exprime le désir de rentrer à Paris et de rejoindre les frères Saint Simoniens; dans une correspondance d’août 1835, le "Père Enfantin" lui répond avec compassion et le soutient dans son intention de rentrer en France : " ton rocher a été si souvent battu par la tempête que ses flancs fracassés par les flots qui le frappent sont à pic, déchirés, âpres, inabordables (...) Ton palmier gigantesque n'a plus de rosée sur ses feuilles jaunissantes, elle est tombée en larmes sur les ronces de la solitude (...) Va donc, va vers la France, vers mon Charles (Duveyrier)..."

En mai 1836, Ismaÿl Urbain rentre en France ou la monarchie de Juillet (Louis Philippe1er), sous l'impulsion de son premier ministre Adolphe Thiers,  mène tant bien que mal les réformes promises. A Paris, où il rejoint les Saint Simoniens Duveyrier et David , Urbain s'engage dans le journalisme et collabore avec "le Magasin pittoresque" de Charton, "le Temps", "la Charte de 1839", "la Revue du XIXe siècle"...

Il retrouve aussi son ami et protecteur, le saint simonien Gustave d'Eichthal qui l'engage dans une réflexion sur la conquête de l'Algérie en cours, et de revisiter le grand projet de l'union de l'Orient et de l'Occident porté par le mouvement du "Père Enfantin".

En Egypte, la phalange des Saints simoniens, sous la conduite de l’exalté Barrault était partie en croisade pacifique, en quête d'un Orient utopique et imaginaire. La complexité des mentalités, les divergences culturelles, la naïveté des intentions et la méfiance de l'Islam ne permirent pas aux "Compagnons de la Femme" de mener leur mission avec succès. 

Mais cette propédeutique expérience égyptienne, allait servir et motiver les Saint Simoniens Enfantin, Lamoricière, Cavaignac, Warnier, Fournel, Duveyrier, Carette et d'autres, qui vont partir, en ordre dispersé à travers leurs diverses fonctions, expérimenter leurs doctrines progressistes en Algérie.

Alors qu'une carrière de journaliste l'attend sur les bords de la Seine; en 1837, Ysmaël Urbain traversera à nouveau la Méditerranée, répondant ainsi à l'appel de tous les métissages des origines, des  territoires et des pensées qui fusionnent dans son coeur...

Car désormais la porte de l'Orient et de son destin est à Alger...
Prise de la Smala d'Abd el Kader le 16 mai 1843 - Horace Vernet

A suivre...

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Le 26 septembre 1891, lors d’une commission d'enquête en Algérie, le sénateur Émile Masqueray, à propos d' Ismaÿl Urbain écrivait :

« C’est lui qui le premier a mis en plein jour cette formidable question indigène que tout le monde aujourd’hui semble découvrir. Il l’a étudiée sous toutes ses faces et il l’a théoriquement résolue avec la justesse d’esprit d’un homme d’État, le détachement d’un philosophe. »


Bibliographie consultée (concernant la 1ère partie)

De Ismaÿl Urbain

"Lettres sur la race noire et la race blanche", Ismaÿl Urbain & Gustave d'Eichthal, 1839
"Une conversion à l'Islam", Revue de Paris, juillet 1852
"Voyage d'Orient", édition posthume 1993

Des Saints Simoniens

"Occident et Orient",  Emile Barrault 1835
"Correspondance d'Enfantin à Ismaÿl Urbain", Bibliothèque de l'arsenal, Fonds Enfantin & d'Eichthal
Sur Ismayl Urbain

"La part de l'Autre dans la quête de soi"  par Jérôme Debrune,  Cahiers d'Etudes africaines 2002
"Le Siècle des saint-simoniens", par Anne Levallois, Bibliothèque nationale de France, 2006, 
Sur internet

"Ismaÿl Urbain", Société d'études Saint Simoniennes,       lien : Lire
"Ismaÿl Urbain", Le 19°siècle, biographies,                          lien : Le 19° siècle
"Ismaÿl Urbain", Wikipédia                                                      lien :Wikipédia - Y. Urbain


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